Edito [fr]

« Si le mouvement est en soi une activité potentiellement transformatrice,
elle l’est doublement lorsque le mouvement est lié au son. »

Michael Bull
[Sound Moves : iPod Culture and Urban Experience, Routledge, London-New York 2007, 47.]

Le Mobile Audio Fest est un événement qui explore les relations entre la mobilité et les (nouvelles) formes d’écoute et de création sonore qui en découlent. Conçu comme une série de rendez-vous par Locus Sonus, laboratoire de recherche en art audio, le festival présente quinze projets d’artistes internationaux, dans lesquels la mobilité joue un rôle central. Le programme comprend des performances, des installations, des applications, des promenades sonores, des workshops et des conférences.

Aujourd’hui, voir une personne qui porte un casque et qui marche à pied dans la rue est devenu une chose banale. Les technologies audio mobiles se sont infiltrées dans notre environnement et ont modifié nos habitudes d’écoute et, par conséquence, notre sphère sonore. De nouveaux horizons s’ouvrent, car les smartphones que nous avons dans notre poche nous permettent de traiter, géolocaliser, transmettre et télécharger le son en temps réel.

Depuis longtemps, les artistes se sont interessés à des formes itinérantes d’écoute et de création sonore, et des approches différentes trouvent leurs origines dans des pratiques qui précèdent les technologies d’aujourd’hui, notamment les installations spatialisées, les performances urbaines, les parcours sonores, le field recording et les partitions navigables. Le Mobile Audio Fest présente une gamme de formes, de stratégies et de médiums récents dans la même lignée artistique.

Plusieurs projets proposent des expériences d’écoute itinérantes qui permettent d’appréhender l’espace urbain dans sa dimension physique, esthétique, historique, sociale, politique ou imaginaire. Des projets comme SchuhzuGehör_path of awareness de katrinem et walking machine de Jessica Thompson amplifient l’interaction physique entre les marcheurs et leur environnement par le bruit de nos pas. D’autres œuvres – comme Mots croisés d’Eric Maillet ou OpenCity Aix d’Andrew Brown – abordent des questions historiques et sociales par la voix et le récit. Enfin, Field Frequency Flux d’Irena Pivka et de Brane Zorman perturbe l’espace urbain en infiltrant des interférences radiophoniques dans un jardin public.

D’autres projets interagissent avec les paysages sonores à travers des performances nomades. Des formes musicales mobiles traditionnelles comme les fanfares sont réactualisées grâce aux nouvelles technologies portables – comme dans Soundwalking de Steve Jones – ou encore,  l’espace acoustique de la ville est détourné temporairement avec un micro et un haut-parleur paraboliques – comme dans Transphere de Pierre-Laurent Cassière. Certains artistes révèlent des aspects déjà présents dans l’environnement mais imperceptibles : Christina Kubisch, par exemple, nous donne un casque spécial qui capte les ondes électromagnétiques produites par tout type d’appareils électriques. Eva Sjuve sonifie les taux de pollution dans la ville d’Aix-en-Provence et Peter Sinclair utilise la surface de la route comme partition pour générer une musique quand on conduit sa voiture.

Certains projets explorent les relations entre les espaces acoustiques virtuels et physiques par le biais d’applications de géolocalisation et de navigation ou encore par le biais d’installations immersives. Owen Chapman invite le public à participer à une collecte de sons d’Aix-en-Provence qui serviront de base à une performance sonore réalisée en direct dans son environnement virtuel Echoscape. Amandine Provost utilise la vitesse et la direction du vent pour naviguer sur la carte sonore de Locus Sonus, tandis que Marie Muller propose une carte virtuelle pour naviguer en 3D dans un espace d’exposition, occupé d’objets sonores.

On utilise aussi des technologies de streaming pour transmettre du son à partir d’une trajectoire réalisée avec un appareil mobile et un microphone en temps réel. Laurent Di Biase collabore avec un groupe de “piétons streamers”, qui se sert d’une application pour capter les sons du monde que le public est invité à écouter, mixés dans une salle de spectacle. Maria Papadomanolaki, pour sa part, nous invite à interagir à distance avec l’environnement sonore d’un quartier de Londres et à communiquer avec elle le long du parcours via twitter.

La majorité de ces projets ont été créés, conçus ou adaptés pour des lieux spécifiques à Aix-en-Provence et Marseille, dans le cadre de résidences ou d’ateliers avec des étudiants. Les réalisations interrogent, de multiples façons, les interactions complexes entre technologies mobiles, usage au quotidien et contexte géographique. Ils révèlent la nature mobile et vibratoire du son, tout en insistant sur la relation physique et in situ entre les personnes qui écoutent et les lieux qu’ils traversent.

Peter Sinclair & Elena Biserna
Directeurs artistiques du Mobile Audio Fest